Entre passé campagnard et “internationalisation” de 1809 à 2018.
Le domaine des Crêts créé en 1809 se situe au Petit-Saconnex, dans l’une des plus grandes et anciennes communes de Genève. Bénéficiant d’un emplacement privilégié sur la ligne des Crêts et d’un accès ouvrant sur la place du village, il a conservé par endroits des traces d’un passé campagnard.
Son originalité réside dans sa trajectoire historique dont l’origine remonte depuis le début du 18 siècle. En effet, le domaine des Crêts est riche d’un parcours d’acteurs importants qui ont marqué le siècle des Lumières à Genève et à l’international mais aussi d’une histoire particulière en devenant le siège de la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-rouge, le plus grand réseau humanitaire au monde. Ce parcours de plus de deux siècles d’histoire marqué par des mutations profondes, mérite d’être revisité afin de relever la richesse et le passé de ce lieu.
Cet article réalisé par le collectif urbz dans le cadre du projet de parc de la FICR vise à élucider l'originalité historique du lieu depuis ses origines jusqu’à son “internationalisation”. Ce retour dans le temps permet également de comprendre les interactions existantes du lieu avec le quartier et leur évolution au fil des années afin de co-construire sur cette base un projet qui améliore significativement le développement des liens sociaux à travers une gestion durable et une plus grande accessibilité du parc par le public.
Le choix des limites chronologiques n’est pas fortuit, il est déterminant des faits historiques ayant marqué l’histoire du domaine. En effet, 1809 correspond à la date de création du domaine qui évolue entre les mains de différents propriétaires sous régime de propriété privée, avec accès limité avant de devenir le siège de de la FICR au lendemain de la seconde guerre mondiale, en 1959. 2018 marque la mise en service du nouveau bâtiment de la FICR, influencé par la consultation du personnel, voisinage et de toutes les instances locales, preuve de l’engagement de la FICR à collaborer avec le voisinage et les habitants du quartier dans une démarche collective comme principe fondamental du projet.
Le domaine des Crêts a fait l’objet de peu de travaux de recherche en dépit de son histoire particulièrement intéressante. À ce titre, il existe un rapport sur l’histoire du domaine des Crêts rédigé par le Service des Patrimoines et des Sites en 2013, en préparation du projet de démolition de l’ancien bâtiment et la construction du nouveau bâtiment de la FICR. D’importantes informations historiques ont été extraites du manuscrit d’Edmond Barde. Les recherches effectuées par urbz, au service des archives, au service iconographique, au service de médiation numérique de la bibliothèque municipale de Genève et les sources orales ont apporté un complément de données ou d’informations indispensables à la réalisation de cet article.
Cette analyse se structure en trois parties par thématique chronologique.
La première partie porte sur le contexte historique qui va du 18 siècle jusqu’à la formation du domaine en 1809. La deuxième partie est consacrée à la période de 1809 jusqu’ à l’année 1959 qui marque un repère important avec l’installation de la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge. La dernière partie retrace les transformations intervenues sur le domaine jusqu’en 2018, date de l’inauguration du nouveau Bâtiment de la FICR .
I- Origine du domaine des Crêts du 18 siècle jusqu’ en 1809
Ce domaine est né du morcellement d’un domaine plus vaste ( photo 1 ), qui a appartenu à plusieurs grandes familles au cours du 18e siècle : la famille Burlamacchi (1712), Pellisari (1750) et Saconnay (1788). Cette première famille qui avait adhéré à la foi protestante, émigra d’abord en France avant de se réfugier à Genève. L’un des personnages importants de la famille Burlamacchi qui ont marqué l'histoire de Genève, fut la mémorialiste Renée Burlamacchi (1568-1641). Établie à Genève en 1585. Avec ses enfants pour échapper aux guerres de Religion, elle épouse en 1623 le célèbre Théodore Agrippa d'Aubigné, homme de lettres. Ses écrits constituent un travail documentaire qui éclaire le parcours des femmes de son époque, leur rôle et leur impact. Elle meurt au Petit-Saconnex le 11 septembre 1641. Un des descendants de cette famille fut le juriste Genevois, Jean Jacques Burlamaqui premier théoricien du droit naturel. Auteur de nombreux ouvrages sur le droit politique et le droit de nature, il enseigne le droit à l'université de Genève jusqu’en 1740.
Photo 1 : vastes terres desquels est né le domaine des Crêts
Source: office du patrimoine et des sites, 1817.
II- Le domaine des crêts de 1809-1959
Créé en 1809 le domaine des Crêts à cette date appartient à Suzanne-Sophie-Marianne de Saconnay, épouse de Bertrand-Ferdinand de Watteville et comprend une maison de maître avec sa dépendance, de part et d'autre d'une cour (117) implantée sur la ligne de crête, une écurie, une grange, une terrasse (118), deux carpières (122 et 124), un jardin (119), des vergers (121) et des vignes. (Photo 2).
Photo 1 : domaine des Crêts vers 1810, cadastre E.
2- Transformation du domaine des crêts avec l’arrivée du Tram au Petit Saconnex en 1894
Dès 1882 déjà, on songe à créer une ligne électrifiée à Genève, sur l’axe Petit-Saconnex – Champel. Il faudra néanmoins attendre encore une douzaine d’années pour mettre tout le monde d’accord. Cette ligne, qui sera finalement inaugurée le 22 septembre 1894 par la compagnie des Tramways Suisse (photo 2), transforme la morphologie du cœur du Petit-Saconnex, et avec lui, du domaine des Crêts. Le rapport du service des patrimoine mentionne cette transformation :
« En 1894, l'arrivée du tram au cœur du village et le renforcement du statut de la place entraînent, deux ans plus tard, le déplacement de l'accès de la propriété en direction de la place du Petit-Saconnex. L'allée est fermée par un imposant portail en fer forgé et est bordée d'une maison de gardien. Le portail est prolongé par une grille de clôture qui s'étend sur une trentaine de mètres. Par ailleurs, à l'ouest de la propriété, le tracé du chemin des Crêts est redressé de façon à aménager une promenade pour les pensionnaires de la Maison de retraite voisine » ( Rapport ops-sms, 2013, p.3)
Photo 2 : Petit-Saconnex-Place
Frise chronologique de l’évolution de l’histoire du domaine des Crêts.
Les éléments les plus anciens et les plus intéressants de la propriété sont le pavillon en bordure de la terrasse, la maison du gardien, le parc et la grille.
a- Chalet « Maison de gardien »
Le chalet encore appelé « Maison de gardien » ou « Maisonnette », construit en 1896 avec une implantation initiale en limite de propriété, disposant d’un escalier extérieur. Le rapport de visite établit par le service des monuments et des sites de l’Office du patrimoine et des sites sur l’histoire du domaine des Crêts, en préparation du projet de démolition de l’ancien bâtiment, fournit des informations sur le chalet. Cette maison (Photo 5) apparaît sur les images tirées de l’album en hommage à Charles Georg, ancien maire de la commune du Petit-Saconnex, dès 1902 et propriétaire du domaine des Crêts. Il avait reçu cet album de son épouse pour leurs 25 ans de mariage. Le chalet, du même modèle que celle existante à l’entrée de la ferme de Budé, a une architecture de type de maison suisse. Mettant en avant un savoir-faire local, elle fut une façon très répandue de faire des maisons de gardien de l’époque remplissant la fonction de sécurité des domaines, de part leur position stratégique à l’entrée de chaque domaine.
En dehors du chalet, sont visibles le parc, et un étang, probablement alimenté par un ruisseau (nant naturel) alimenté à son tour par les eaux du Jura(photo 6). Quelques informations historiques mentionnent le parc dans le journal, numéro 5 de l’Association des Habitants du Petit-Saconnex-Genève (AHPTSG) intitulé les Nouvelles du Petit-Saconnex :
« La véritable place du village se trouvait alors à l’intersection du chemin des Crêts, du chemin du Four (l’actuel chemin Dr. Adolphe-Pasteur) où se trouvait le four de l’ancienne boulangerie et à la hauteur du portail de la maison Georg qui est devenu le portail du parc menant au nouveau bâtiment de la Fédération internationale des sociétés de la Croix Rouge et du Croissant-Rouge (FICR). C’était là également qu’était installé le gibet qui fut détruit et remplacé lors de l’occupation française par « l’arbre de la liberté ». Cette petite place se dénommait « Colas ». On raconte qu’au pied du gibet croissait la « mandragore », cette plante à laquelle on attribuait au moyen-âge les propriétés les plus merveilleuses »
Ce parc a la particularité d'être un espace très calme, qui conserve les traces de son passé et une valeur de trame verte importante au sein du quartier.
Photo 5: Chalet « maison de Gardien » Photo 6 : Parc du domaine des Crêts
Copyright: centre iconographique de Genève.
b- Le Pavillon belvédère hexagonal
Outre le petit chalet, le pavillon belvédère hexagonal est l’un des seuls vestiges qui a résisté aux temps et conservé sur le domaine des crêts. De type néoclassique à pavement de mosaïques et plafond peint, il a été élevé vers 1920 au bord de la terrasse de la maison de maître et à proximité d'un jeu de quilles
Photo 7: Le Pavillon belvédère.
Copyright: centre iconographique de Genève
Depuis sa création en 1809, le domaine des Crêts est demeuré relativement inchangé jusqu'au tournant du XXe siècle. Après avoir connu divers propriétaires et servi à différents besoins, le domaine, au lendemain de la seconde guerre mondiale passe aux mains de la société coopérative de consommation qui fit construire un bâtiment administratif en 1945 par Arnold Hoechel (photo 3) en remplacement de la maison de maître démolie en 1945. Cette première intervention sera suivie d’autres, qui, sans vision d’ensemble pour le site, vont nuire à sa cohérence.
Photo 3 : Le bâtiment administratif, construit en 1945 et agrandi en 1994.
III- Domaine des Crêts 1959-2018: “internationalisation”
Le nouveau bâtiment administratif construit en 1945 abrite dès 1959 (photo 4) la Ligue des sociétés de la Croix-Rouge marquant l’intégration du domaine Crêts à la Genève internationale.
Photo 4: Siège de la ligue des sociétés de la Croix-Rouge en 1959:
Copyright: Jean Zbinden, Genève, 24 juin 1959 Vidéo de l’inauguration en 1959
Cette installation s'accompagne de la réalisation par l'architecte Pierre Varenchon d'un bâtiment administratif de plan carré et de construction légère, puis, en 1964, de la restauration, toujours par Pierre Varenchon, de l'ancienne dépendance. En 1994, le bâtiment administratif est prolongé au sud (photo 5)
Photo: Bâtiment agrandi en 1994 au sud.
Source: rapport OPS-SMS, 2013.
Une autre extension sera réalisée trois ans plus tard en 1997 par Georges et Jean-Noël de Guili. Dans la préparation du projet de construction du nouveau bâtiment, le bâtiment historique datant de l’après deuxième guerre mondiale et plusieurs petites constructions d'essence provisoires ont été démolies pour laisser place à un nouveau bâtiment de la FICR (photo 6). Seule l’extension de 1997, le petit chalet et le pavillon hexagonal belvédère sont encore conservés.
Photo 6: Nouveau Bâtiment de la FICR mise en service en 2018.
Source: FIPOI, 2022
L'implantation de la La ligue des sociétés de la Croix-Rouge, transforme de manière positive les relations entre les habitants du Petit-Saconnex et la propriété. Cette mutation est marquée par une grande ouverture du lieu au public qui était jusque-là aux mains du privé. À souligner la démarche participative des artisans du projet du nouveau bâtiment, actuel siège de la FICR, avec les acteurs du quartier (habitants du quartier, EMS, associations) signe fort de la volonté de la FICR de promouvoir l’intégration sociale et l’action communautaire. L’institution a songé inscrire au programme un restaurant self-service ouvert à toute personne afin de rendre ses espaces plus accessibles au public. Inscrite dans une vision évolutive et axée sur les principes et valeurs fondamentaux au cœur de ses actions, la FICR s’engage vers une dynamique des relations de proximité et d’ouverture de ses espaces extérieurs comme intérieurs à tout public en général et aux habitants du Petit-Saconnex en particulier. En témoignent les animations hebdomadaires de l'Association des habitants du Petit Saconnex-Genève au chalet et du projet en cours de transformation du parc et des espaces extérieurs de la FICR. Ce projet ambitionne de faire du parc de la FICR un hub humanitaire ouvert et accessible à tout public en offrant un espace accueillant qui renforce les liens sociaux et favorise l’intégration sociale et communautaire par l’entremise d’une démarche participative avec tous les acteurs concernés et toutes les instances locales.
Comments